« voilà donc l’exemple d’une écriture
dont la fonction n’est plus seulement de communiquer ou d’exprimer, mais
d’imposer un au-delà du langage qui est à la fois l’Histoire et le parti qu’on
y prend »
R.Barthes
Emprunté au domaine
militaire, puis au domaine politique, le mot stratégie signifie l’ensemble des
procédés utilisés pour atteindre un but final. Quant à la stratégie discursive
signifie l’ensemble des procédés stylistiques et rhétoriques pratiqués par un
auteur pour faire circuler son discours et lui faire acquérir droit de
reconnaissance au sein des composantes discursives de son cadre de référence.
Les discours que produisent les individus constituent pour eux leur lieu
d’accueil, le lieu où ils se réfugient quant ils se trouvent rejetés par les
circonstances c’est pour cette raison que Heidegger a considéré le langage
comme la maison de l’être.
Le parler ordinaire des
individus s’exprime en majorité par des signes vocaux. Parfois chez certains
poètes tels que Abdellatif Laabi, les traces de ces signes vocaux persistent et
s’impriment dans l’écriture, peu d’écrivains sont arrivés à débrider
l’expression de leur voix intérieure, cette voix qui ne cesse de les
interpeller et qui ne cesse de les pousser à écrire. Il suffit de se rappeler
de l’écriture d’un Lautréamont qui ne reproduit pas uniquement sur le traçage
de son écriture ses signes vocaux, mais les traces de ses griffes. Car, dans
l’homme civilisé, que nous sommes, gît quelque part l’homme sauvage que nous
étions, et les poètes par leurs expressions poétiques lapidaires sont là à nous
rappeler les traces de notre patrimoine génétique peut-être mieux que le font
les explorateurs de l’ADN.
La poésie en tant que
discours spécifique constitue un champ favorable pour faire investir
l’expression du corps. Dans la poésie, on crie, on vocifère, on vomit, on
mange, on pisse, on sourit, on fait tout. La poésie est le langage libre du
quotidien, le langage qui nous fait rappeler que l’aube de l’humanité était un
temps libre ; et c’est pour cette raison que la poésie n’a pas supporté
pour beaucoup de temps les canevas de la métrique classique à tel point que les
classiques eux même sont devenus des fossiles de l’histoire littéraire. La
poésie s’est vite libérée des carcans préétablis de l’expression factice.
La poésie n’est pas
seulement une parole, une expression, elle est aussi « un instrument
spirituel qui transforme le monde chaotique des sensations en monde des objets
et des représentations. »" H. Delacroix, Le langage et la pensée,
p.126
Cette puissance magique du
langage poétique consiste à se substituer à la réalité en faisant exister réellement
ce qu’elle nomme : tous les moyens de l’esprit sont enfermés dans le
langage ; et « qui n’a point réfléchi sur le langage n’a point
réfléchi du tout." Alain, Propos sur l’éducation, 66
Le langage poétique, ce
n’est pas uniquement un pavé dans la marre des événements mais il a un rapport
avec la civilisation. Il joue un rôle important dans le développement de
celle-ci. Sans l’existence de l’expression magique de la poésie, il n’y aura pas
de monde à part, un monde qui fera vivre aux individus leur singularité. L’importance
du langage, dit Nietzsche, dans le développement de la civilisation réside en
ce que l’homme y a situé à côté de l’autre monde, un monde à lui, un lieu qu’il
estimait assez solide pour, s’y appuyant, sortir le reste du monde de ses gongs
et s’en rendre maître." Nietzsche, Humain, trop humain. I .
11.
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