Jérôme Martin
La critique des examens et des pratiques pédagogiques remonte au-delà des premiers travaux de docimologie. À la fin des années 1880, à l’initiative des médecins hygiénistes, la question du « surmenage » scolaire est déjà posée. Les programmes encyclopédiques et la longueur des journées scolaires sont dénoncés comme facteur de pathologies telles que la fatigue cérébrale. C’est par ce biais que Binet est amené à s’intéresser au milieu scolaire. Entre 1898, date à laquelle il publie avec Victor Henri La fatigue intellectuelle, et 1906, il dirige ou publie plusieurs travaux sur la question de la fatigue scolaire. Cependant, ce sont ses travaux sur l’intelligence et sa mesure qui le conduisent à remettre en cause les formes d’évaluation pratiquées par les enseignants. La dénonciation du « surmenage » se double alors de la dénonciation de l’examen lui-même. Binet est ainsi parmi les premiers à se livrer à une critique psychologique des méthodes pédagogiques traditionnelles.
À la tête du Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne à partir de 1894 et surtout du Laboratoire de pédagogie expérimentale de l’école de la rue de la Grange-aux-Belles créé en octobre 1905, il oriente dorénavant l’essentiel de ses recherches vers les questions d’enseignement. La mise au point de son échelle de l’intelligence se veut ainsi un instrument pédagogique au service d’une école qui serait ouverte aux applications de la science19. S’interrogeant sur la finalité de l’école et sur les critères permettant de la juger efficace, Binet lui assigne deux objectifs : augmenter « le rendement d’un individu particulier » mais aussi faire bénéficier la collectivité de cette augmentation20. Dans cette perspective, la psychologie ne peut que s’intéresser à la question de l’évaluation des élèves, c’est-à-dire à la manière dont l’école évalue son propre travail. Or, selon Binet, les examens pratiqués par le système scolaire présentent deux caractéristiques qui les discréditent : d’une part, ils comportent des épreuves arbitraires et d’autre part, ils ne permettent pas de savoir ce qu’ils évaluent. Binet développe cette critique à propos du certificat d’études. Celui-ci est caractérisé par « le défaut de tous les examens où les questions sont laissées à l’arbitraire du juge […]. Les difficultés n’en sont point dosées avec rigueur ; il n’y a là aucune méthode »21. C’est ce que confirment largement les résultats des premières études de docimologie. La nécessité d’« organiser des examens qui soient des mesures du degré d’instruction » conduit à l’élaboration d’une méthodologie de l’examen, avec des tests de résultats respectant deux principes : d’une part une standardisation des épreuves et d’autre part, leur étalonnage22. Son collaborateur, l’instituteur Vaney, met ainsi au point, en 1906, « un plan d’examens qui permet de mesurer l’instruction d’un élève, âge par âge, depuis sept ans jusqu’à douze ans »23. Cette nouvelle approche des méthodes d’évaluation s’inscrit dans la défense d’une nouvelle pédagogie « qui fait de l’écolier un actif, au lieu de le réduire à n’être qu’un écouteur »24, et de l’idéal de « l’école sur mesure »25.
- 19 M. Vial : Les enfants anormaux à l’école. Aux origines de l’éducation spécialisée, 1882-1909, Arman (...)
- 20 A. Binet : Les Idées modernes sur les enfants, op.cit., p. 27.
- 21 Ibid.,p. 41.
- 22 » 1° L’examen n’est pas livré au hasard, au caprice de l’inspiration, aux surprises des association (...)
- 23 Ibid., p. 33.
- 24 Ibid., p. 139.
- 25 Ibid., p. 22.
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