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La professionnalisation des enseignants du secondaire




 Dans la formation initiale des enseignants du secondaire supérieur en Belgique francophone, si les finalités sont fixées par décret, les activités pédagogiques sont, quant à elles, développées de façon autonome par chaque université. Dès lors, quels sont les moyens à mettre en œuvre pour évaluer le développement de la professionnalité des enseignants et étudiants (futurs enseignants) inscrits dans des universités différentes? Dans le cadre d’une recherche interuniversitaire, les auteurs ont construit et validé un instrument permettant de mesurer la transformation de la professionnalité dans le cadre de la formation initiale en l’appréhendant sous l’angle du développement des compétences de réflexivité et de la construction de l’identité professionnelle entre l’entrée en formation et en fin de celle-ci. L’article propose de décrire la démarche de construction et de validation de cet instrument.  

"La professionnalisation peut être définie comme un processus de développement professionnel, « d’amélioration des capacités et de rationalisation des savoirs mis en œuvre dans l’exercice de la profession, ce qui entraîne une plus grande maîtrise et une plus grande efficacité individuelle et collective » (Bourdoncle, 1991, p. 75). Cette définition rejoint celle de Blin (1997, p. 211) qui propose d’appeler développement professionnel, toutes « les transformations individuelles ou collectives de compétences et de composantes identitaires mobilisées ou susceptibles d’être mobilisées dans des situations professionnelles ». Dans le même sens, Perrenoud (1994) retient plusieurs dimensions dans un processus de professionnalisation qui comporte: une identité forte, un travail en équipe, un fonctionnement coopératif au sein des établissements, la prise en charge de sa propre formation continue ou encore la réflexion sur la pratique. Pour sa part, Beckers (2007) identifie trois caractéristiques de l’enseignant professionnel, celui-ci est capable :

 1. de mobiliser avec efficacité et autonomie un ensemble de ressources pour faire face à des situations complexes qui requièrent de l’adaptabilité ;

 2. de prendre distance par rapport aux situations pour en dégager les principes généralisables et les spécificités, de lier théories et pratiques et de prendre du recul par rapport à son propre fonctionnement dans ces situations ;

3. de poser des actes professionnels responsables en fonction d’une éthique plutôt qu’en application à des règles. Au regard de ces définitions, nous retenons deux composantes: l’identité professionnelle et les compétences réflexives. Ces composantes sont décrites dans les points suivants. 

 L’identité professionnelle 

L’identité est traditionnellement conçue comme l’ensemble des critères de définition d’une personne, elle contribue à la construction du sens des actes posés (Paul Ricoeur, 1997). Elle peut être définie comme le produit d’un processus de représentation de soi à travers un double processus, biographique et relationnel (Dubar, 1996). Le processus biographique correspond à l’histoire que les personnes se racontent sur ce qu’elles ont été (identité héritée) et ce qu’elles projettent d’être (identité visée). Ainsi nombre d’éléments du parcours de la vie antérieure des individus vont façonner ses images de soi dans le métier. Ces caractéristiques identitaires construites au cours de l’histoire de chaque individu vont orienter la manière dont il va s’engager dans le processus de formation et les transformations de sa professionnalité.

Ensuite, l’identité relève des actes d’attribution par les institutions et par les acteurs en interaction avec les individus et aboutit à l’identité pour autrui (quel type d’homme ou de femme dit-on que vous êtes ?).  Plus spécifiquement, l’identité professionnelle de l’enseignant est définie par Gohier et ses collègues comme  : « (…) l’image que celui-ci élabore de son travail, de ses responsabilités, de ses rapports aux apprenants et aux collègues ainsi que de son appartenance au groupe et au collège ou au lycée comme institution sociale et quelle se traduit par la représentation que se fait l’enseignant de lui-même , ainsi que des autres enseignants, et de la profession enseignante, à un moment donné de son parcours professionnel ». (Gohier & al., 2000, p. 132). 

Pour sa construction, l’identité professionnelle met en jeux deux processus complémentaires, et dialectiques : l’identification et l’identisation (Chevrier, Gohier, Andon & Godbout, 2007). L’identification est le processus par lequel les enseignants se conforment aux demandes, aux normes des groupes socio-professionnels en intériorisant certains des attributs attendus. L’identisation est le processus « par lequel le  future enseignant tend à se singulariser, à se distinguer des autres dans l’affirmation de ce qui, à ses yeux, le caractérise en tant qu’enseignant unique. » (Chevrier, Gohier, Andon & Godbout, 2007, p. 141-142) Selon ce modèle, la construction identitaire est un processus dynamique qui mène à la construction et à la transformation de la représentation que la personne a d’elle-même comme enseignant tout au long de sa carrière

(Gohier & al., 2000). Cette représentation peut être en partie liée aux motifs qui ont amené l’individu à s’engager dans la formation.

Le modèle de Carré (1998, 2001) permet de différencier dix motifs d’entrée en formation qu’il classe selon deux axes : un axe qui oppose les motifs intrinsèques/motifs extrinsèques et un axe qui oppose les motivations liées à l’apprentissage d’un contenu à celles liées à la volonté de participer à la formation.  Cette représentation que la personne a d’elle-même comme enseignant tout au long de sa carrière se transforme et une des questions à laquelle nous devons  répondre est la suivante : sur quels indices se baser pour rendre compte de ces transformations ?

Le modèle de Bajoit (2003) apporte un éclairage intéressant pour la construction d’indices susceptibles de permettre de rendre compte des évolutions identitaires en cours de formation.  Pour cet auteur, le développement identitaire correspondrait à la gestion existentielle des tensions entre trois sphères constitutives de l’identité :

1. la sphère de l’identité engagée (images de ce que l’individu pense effectivement faire). Cette sphère correspond aux engagements des individus.

2. la sphère de l’identité désirée correspond à ce que l’individu voudrait devenir, ses projets identitaires (ces derniers peuvent également  être définis en négatif: ce que l’individu ne sera jamais)

3. la sphère de l’identité assignée: cette sphère concerne l’idée que l’individu se fait des attentes que les autres (individus ou institutions) ont à son égard.  Comment ces trois sphères évoluent-elles en cours de formation ? Dans quelle mesure évoluent-elles de manière parallèle ou au contraire certaines évoluent-elles plus que d’autres ? Peut-on identifier des tensions entre ces sphères comme le suggère Bajoit ?

Pour pouvoir rendre compte de l’évolution des différentes sphères identitaires, on peut s’inspirer du modèle de professionnalité adapté de celui de Paquay (Paquay & Wagner, 2001) Ce modèle distingue six formes identitaires :

Enseignant personne, enseignant chercheur, enseignant acteur social, enseignant pédagogue, enseignant praticien, enseignant maître instruit et enfin l’enseignant praticien réflexif ce dernier type d’enseignant se réalise si les six autres identités sont rencontrées. 

 Ce modèle, de praticien réflexif englobe les six autres formes identitaires.



Compétences professionnelles 

Les transformations du sujet ne seront pas seulement envisagées sous l’angle des représentations identitaires mais également sous l’angle des compétences professionnelles et notamment des compétences réflexives.   Pour Beckers (2007), la compétence s’exprime par la réussite d’une famille de tâches mobilisant les mêmes invariants opératoires (Vergnaud, 1996, cité par Beckers, 2007). Selon Beckers (2004, p.5),  l’attribut central du concept de compétence est de « pouvoir faire face à une famille de situations » mais également de pouvoir prendre du recul par rapport à ces situations, de les analyser en vue de dégager des solutions adaptées, de s’engager dans des projets collectifs… Elle inclut donc les compétences réflexives parmi les compétences professionnelles. Les compétences réflexives seront explicitées en tant que tel dans le point suivant.  Les trois axes de l’activité enseignante identifiés par Beckers (2007), incluant chacun plusieurs familles de tâches font référence aux trois compétences :

1.     planifier l’apprentissage et son évaluation,

2.      gérer les interactions avec les élèves, « éduquer », « faire apprendre »

3.     et établir des relations de partenariat éducatif. Les relations entre ces différents aspects du métier peuvent être représentées à partir d’un « losange pédagogique », complétant le triangle pédagogique (Houssaye, 1993), pouvant faire fonction de grille d’intelligibilité éclairant la complexité des situations d’enseignement et leur donnant du sens (Beckers, 2011). A un pôle (1), l’enseignant (personne dans une équipe) face à des élèves (ensemble de personnes regroupées) (pôle 2) et des savoirs à enseigner (pôle 3) correspondant à un contenu socialement imposé mais aussi, des valeurs et des normes à inculquer (pôle 4). La figure suivante représente les relations entre ces différents pôles.

 Les relations entre les pôles (1), (2), (3) s’inscrivent à l’intérieur d’un ensemble de valeurs et de normes (pôle 4) qui colorent le processus « éduquer » et auront un impact sur le développement des élèves en tant qu’êtres humains. L’insertion dans l’équipe qui partage ou non des valeurs et des normes va également orienter le développement de l’enseignant. Les relations entre les différents éléments de la figure (processus et acteurs) permettent d’envisager les actes professionnels de l’enseignant à l’intérieur d’un système dont l’équilibre est en perpétuelle évolution. 



Compétences professionnelles de réflexivité

Le praticien réflexif prend son action comme objet de réflexion (Perrenoud, 2004). Perrenoud l’envisage comme un praticien  « qui se regarde agir comme dans un miroir et cherche à comprendre comment il s’y prend et parfois pourquoi, il a fait ce qu’il a fait, éventuellement contre son gré.» (Perrenoud, 2004, p. 3). En d’autres termes, au-delà de la réflexion sur ses pratiques concrètes, le praticien réflexif adopte une posture de mise à distance par rapport à sa manière d’agir en situation (Donnay & Charlier, 2006). Il interroge sa pratique en prenant appui sur des savoirs théoriques et en explicitant ses propres savoirs implicites. Pour ces auteurs, cette posture d’extériorité est propice à la prise de conscience de soi en situation, à l’explication de son identité et à la formalisation de savoirs issus de l’action. Cette perspective permet un rapprochement entre les savoirs issus de l’action et les savoirs théoriques. Ces derniers ne seraient pas seulement appliqués en situation, ils seraient reconstruits lors de celles-ci (Biémar, Dejean & Donnay, 2009). C’est au travers de cette reconstruction que l’acteur professionnel se transforme en auteur professionnel (Le Boterf, 1997). C’est à partir de cette prise de distance par rapport à son action, à son positionnement et à la situation elle-même que le professionnel va pouvoir conceptualiser pour tenter de généraliser son apprentissage professionnel et ainsi pouvoir transformer l’expérience vécue en ressource potentielle pour faire face à de nouvelles situations (Pastré, 2005). C’est à cette condition que l’expérience vécue devient source de développement identitaire (Pastré, 2005) et participe à la construction de la professionnalité et au développement des compétences de réflexivité.


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