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La poètique et la structure du langage poétique


La divergeance des poéticiens sur la question poétique et littéraire est due, avant tout, aux grands développements de la linguistique et aux caractères spécifiques de la poésie, quelques ouvrages  de base sont là pour nous faire rappeler cette réalité .

Pour jean Cohen, la poétique est une science dont la poésie est l’objet. Pour cela il soulève deux problématiques essentielles :

Le rapport qu’entretiennent la linguistique et la poésie. Il étudie dans cette optique les phénomènes de la prédication, la détermination et la coordination. Tout en les étudiant, il spécifie le caractère différentiel du langage poétique. Ce langage que selon lui doit être étudié à travers deux niveaux :
  1.    le niveau phonique 
  2.    le niveau sémantique.

Dans la deuxième problématique, qui est axiale dans son travail, il étudie la structure du langage poétique. Cette structure dénote un caractère différentiel par rapport au langage prosaïque. Nous aurons à revenir sur ce caractère différentiel. Avant d’attaquer ces deux problématiques, Cohen a fait d’abord le parcours du signifié « poésie » selon les siècles et les écoles littéraires. Il dit dans ce sens. « Ce mot de poésie, avait à l’époque classique un sens sans équivoque ». Il désignait un genre de littérature, le poème caractérisé lui –même par l’usage du vers. Mais aujourd’hui, au moins chez le public cultivé, le mot a pris un sens plus large, à la suite d’une évolution qui semble avoir commencé avec le romantisme et que l’on peut analyser, en gros, de la manière suivante. Le terme a d’abord, par transfert, passé de la cause à l’effet de l’objet au sujet. « Poésie » a ainsi désigné  l’impression esthétique particulière produite normalement par le poème. C’est alors qu’il est devenu courant de parler de « sentiment » ou « d’émotion poétique ». Puis par récurrence, le terme s’est appliqué à tout objet extralittéraire susceptible de provoquer ce type de sentiment (1)    
 
Après l’extension qu’a prise le mot poétique et pour des raisons purement méthodologiques, Cohen limite son objet d’étude dans le langage poétique lorsqu’ il dit : « il s’agit pour nous d’analyser les formes poétiques du langage, et seulement du langage. Dans la mesure ou nous aurons obtenu des résultats positifs, il sera alors loisible de chercher à les étendre au –delà du domaine littéraire (2) l’apparition du poème. Celui-ci  avait une sorte d’existence juridique qui ne prêtait pas à contestation (…) mais l’expression apparemment contradictoire de  « poème en prose»  nous oblige à le redéfinir (3).

    Pour répondre à cette exigence de redéfinition du poème, et pour le démarquer de la prose il adopte une méthode qui consiste à analyser le langage poétique doublement : phoniquement et sématiquement, parce que selon lui : « la poésie s’oppose à la prose par des caractères qui existent à ces deux niveaux (4).

La poésie s’écarte de la prose par sa différence structurale. Les caractères phoniques de la poésie ont été codifiées et nommeés. « On appelle « vers » toute forme de langage dont la face phonique porte ces caractères  » (5). La poésie possède également des caractères spécifiques au niveau sémantiques. « Ils ont été eux aussi, l’objet d’une tentative de codification, de la part de cet art d’écrire appelé « rhétorique  » (6).

T.Todorov, quant à lui, assigne à la poétique une tâche qui déborde le seul domaine de la poésie. Elle désigne, pour lui, toute théorie interne de la littérature. Elle doit répondre à la question suivante : Qu’est-ce que la littérature ? La réponse à cette question va permettre l’élaboration d’un ensemble de catégories. Ces catégories vont permettre, à leur tour, la saisie de l’unité et de la variété de toutes les oeuvres littéraires. Elles permettront aussi de fournir des instruments pour la description d’un texte littéraire,  c'est-à-dire :

-« de distinguer les niveaux de sens »,

-de décrire les relations auxquelles celles-ci participent (9).

Pour T. Todorov, l’objet de la poétique, n’est pas uniquement la poésie, n’est pas non plus l’ensemble des œuvres littéraires existantes, « mais le discours littéraire en tant que principe d’engendrement d’une infinité de textes » (10) dans ce cas et en étant fidèle à cette conception, la poétique doit-être conçue comme : « une discipline théorique que les recherches empiriques nourrissent et fécondent, sans la constituer » (11).

 
Pour revenir a  J. Cohen, le vers est une structure phono sémantique. Il est le produit du rapport du son et du sens. Au niveau structural, le vers est aussi une figure semblable aux autres. vers et métaphores ont des structures homologues. La différence entre eux existe uniquement dans les éléments mis en jeu. Tout d’abord  tout vers est versus, c'est-à-dire retour. Le vers revient toujours sur lui-même Gérard Hopkins en donne cette définition : « discours répétant totalement ou partiellement la même figure phonique » (1). Le versus se fonde sur des éléments sonores variables de langue à langue. En français, c’est le nombre égal de syllabes qui fonde la répétition : le phénomène d’iso syllabisme.

On appel discours versifié : Tout discours qui se laisse diviser en segments comptants, au moins deux, un nombre égal de syllabes.

On comprend par là que « le vers Français est premièrement homo métrique, secondairement homophonique » (2).  Cette définition s’applique uniquement au vers régulier. Le problème reste à chercher si le « vers libre », qui ne respecte ni la rime ni le mètre, devrait- être considèré comme  vers ou non. Surtout que les poètes qui usent de vers le considèrent comme un vers authentique. Pour trancher une mise au point de quelques traits distinguant la structure du poème de celle de la prose doit être faite au niveau de la typographie et au niveau de la syntaxe.

 Du point de vue de la composition typographique, « chaque vers est séparé du suivant par un blanc qui va de la dernière lettre à la fin de la page » (1). Une fois le vers se complète au niveau rythmique, on passe à la ligne.  Au niveau prosodique, le blanc est conçu comme signe graphique du silence ou de la pause. L’absence de lettre symbolise normalement l’absence de voix. A l’origine, cette absence de voix semble être nécessaire aux parleurs pour reprendre leur souffle. JEAN Cohen considère cette pause comme un phénomène physiologique extérieur au discours, «  mais elle s’est tout naturellement chargée de signification linguistique » (2).

 Au niveau de la syntaxe, Les éléments du discours sont caractérisés par une solidarité variable qui est à la fois logique et grammaticale. Cette solidarité, logique et grammaticale, divise le discours en parties emboîtées : chapitres, paragraphes, phrases, mots etc. cette division est facilitée normalement par le sens ; la voix ne fait que marquer « l’indépendance sémantique des unités entre lesquelles elle s’interpose » (3). La division sémantique est accompagnée par une division phonique parallèle.

Cohen en adapte la distinction entre « formes fortes » et « formes faibles ». On parle de « formes fortes » dans les cas « ou deux facteurs ». De structuration (sens/son) agissent dans le même  sens » (4) dans les autres cas ou ils agissent en sens contraire on parle de « formes faibles
 
Dans le discours normal, le parallélisme phono- sémantique joue à tous les degrés de la division. Les chapitres sont plus indépendants les uns des autres que ne sont deux paragraphes. Les phrases sont moins indépendantes que les paragraphes. Au niveau de la phrase, la solidarité psychologique des éléments se renforce par une solidarité grammaticale : les signes de ponctuation qui sont caractérises par une certaine hiérarchie. Le point marque la fin d’un sens complet en lui-même et qui peut exister isolément ; la virgule sépare des groupes relativement autonomes mais qui ne peuvent pas exister isolément.

 La structure du vers, à l’encontre de la phrase est caractérisée par une « pause métrique ». « Elle a pour fonction de signifier que le mètre est rempli et le vers terminé » (1). Elle n’a pas de valeur sémantique. Elle peut en effet séparer deux unités solidairement liées. C’est le cas du sujet et du prédicat. Exemple :

            Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne.

              Faisait voler la grive à travers l’air atone. (Verlaine)

Maurice Grammont illustre cette concurrence entre le vers et la syntaxe en disant : « Quant il y a conflit entre le mètre et la syntaxe, c’est toujours le mètre qui l’emporte, et la phase doit se plier à ses exigences. Tout vers, sans exception possible, est suivi d’une pause plus ou moins longue » (2)

 Donc le problème de l’enjambement relève essentiellement du conflit mètre / syntaxe. Parfois cet enjambement est réduit par une coïncidence entre pause métrique et pause sémantique. Cette coïncidence, selon des statistiques est inexistante. Examinons ces deux vers :
 
Ariane, ma sœur, de quel amour blessé.

Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée.

 Le premier vers contient trois pauses sémantiques égales dénotées par des virgules. Ces trois pauses coïncident avec trois autres pauses rythmiques. Mais ce qu’est frappant ici, les trois pauses rythmiques sont de valeurs inégales. La première marque la fin d’une mesure, la seconde la fin de l’hémistiche, la dernière la fin du vers. Dans cet exemple pertinent, les pauses rythmiques sont inégales et répondent à des pauses sémantiques égales. Cette discordance entre la syntaxe et le vers obéit à une esthétique qui change de siècle en siècle et d’école littéraire en école littéraire. Il n’est pas de notre attention d’aborder le problème des tendances esthétiques de chaque école. Mais nous signalons, à la suite des études de Jean Cohen, qu’au cours des trois derniers siècles la versification n’a pas cessé d’accroître la divergence entre le mètre et la syntaxe, elle est allée toujours plus loin dans le sens de l’agrammaticalisme » (1)qui se concrétise dans le phénomène du vers libre.

Le vers libre n’obéit à aucune contrainte de mètre ou de rime. La rupture du parallélisme phono-sémantique est intentionnelle. Elle constitue une fin recherchée. Selon Jean Cohen ce qui différencie le vers libre du « poème en prose » c’est le respect de ce dernier des règles du parallélisme.

              Le Niveau SEMANTIQUE.

 Théoriciens et poéticiens puisent leur savoir et leur jugement dans le champ de la théorie du discours. Il convient pour nous, dans le niveau sémantique de la poésie, de faire des ouvertures qui consistent à insérer le problème de la rhétorique dans le cadre de la théorie du discours. Certes nous ne prétendons pas contourner toute la polémique concernant ce sujet, mais, nous allons tenter de montrer, à la suite de notre analyse, le rapport d’interdépendance entre la rhétorique et la théorie du discours. Surtout comme le pense Jean-Michel Adam : ‘’ La question rhétorique doit être repensée dans le cadre d’une théorie du discours au même titre que celles de connotions ou d’énonciation’’ (1)

L’intelligibilité du message est liée fondamentalement à l’usage qu’on fait des règles structurants le discours. Pour qu’un discours soit intelligible, il ne lui suffit pas seulement de respecter le niveau de la langue, mais il faut aussi que son sens soit accessible aux destinataires. Le discours poétique se caractérise par la transgression des codes linguistiques usuels. Le poète vise toujours à changer le sens premier des mots. Il lui substitue un autre sens qui relève de la stratégie poétique. Cette stratégie procède essentiellement par détournement du sens de la langue. Le poète agit sur le message pour changer à la fois la langue et le monde.

 
 
 
 
Références:
 
 
1- Jean-Michel Adam, linguistique et discours littéraire, Larousse se université, Paris-VI, 1976, Page 141. 
 

2- ouvrage op. Cité page 8

3- op. Cité page 9

4- Ibid.

5- Ibid.

6- Ibid 
 
J. Cohen, structure du langage poétique, Flammarion, paris, 1966, page57.

J. Cohen, structure du langage poétique, Flammarion, paris, 1966, page55

Ibid.
 1- Jean Cohen, structure langage poétique, Flammarion Paris 1966 P.60.

    2- M. Grammont, le vers Français Picard et fils, Paris, 1904. P.35.
 
Ibid, page 58.

Ibid,

Ibid, page 59.
 
9- T. Todorov, dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, ed seuil,  coll. point p.107

10-Ibid

11- Ibid

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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